« Chez nous on a une règle d’or : on n’a pas le droit de dire qu’on est fatiguées ! », affirme avec entrain Gabrielle de Valmont, qui a fondé le 5 octobre 2016, avec sa comparse Camille Desclée la start-up Nap & Up. Les deux jeunes vingtenaires, qui se sont connues sur les bancs de Paris-Dauphine, vendent des « cocons à sieste » et comptent démocratiser la pratique de la sieste en entreprise.

Cette dernière produit ses cocons à sieste à Nevers en passant par les circuits d’insertion et de réinsertion comme les Esats. En plus du produit, Nap & Up propose des campagnes de sensibilisation dans les entreprises ainsi que des listes musicales conçues par des sophrologues pour accompagner l’endormissement des ‘nap’upper’.

« L’histoire est amusante », raconte Gabrielle de Valmont. « On sortait d’un cours de trois heures à Dauphine et on se sentait vidées. On se disait en rigolant qu’on seraient prêtes à payer quelques euros pour pouvoir se reposer quelques minutes dans un camion à sieste », se rappelle-t-elle. « L’idée nous plaisait bien, je l’ai même introduite dans une présentation orale en cours. À l’époque, on ne nous prenait pas au sérieux ».

Puis en sondant leurs proches, les deux amies réalisent que la sieste en entreprise est un sujet dont « tout le monde adore parler ». « On s’est aussi rendues compte que beaucoup faisaient des siestes en cachette sur leur lieu de travail : les jeunes parents crevés parce qu’ils n’ont pas dormi de la nuit, les femmes enceintes ou même ceux qui sentent un coup de barre après le déjeuner », détaille la jeune cheffe d’entreprise.

Se lançant dans le projet à la sortie de leurs études, les deux jeunes entrepreneuses veulent concevoir « un bel outil » mais voient aussi l’important travail de sensibilisation qu’il faut mener en entreprise pour que leur cocon à sieste se vende. « On a gardé l’idée d’un produit flexible, qui ne force pas les entreprises à engager des m², mais dans la culture d’entreprise à la française, la sieste est encore un sujet tabou », note-t-elle.

Commençant avec un simple paravent à sieste, les deux entrepreneuses, lorsqu’elles démarchent les entreprises, se voient opposer beaucoup de refus : « on a pris beaucoup de portes. Les gens nous ont vues comme deux étudiantes, sans expérience, sorties de nulle part, le projet n’était pas toujours compris, car les entreprises ne font rien en matière de sommeil ».

Un QR code à côté du cocon à sieste permet de lancer une ambiance sonore conçue par un sophrologue.

« Mais on a une chance, c’est que le thème du bien-être en entreprise se démocratise. En moins de deux ans, on a vu une évolution du marché : il suffit parfois d’un changement de personnel dans la direction pour que les entreprises changent d’avis et s’investissent dans le sujet », explique Gabrielle de Valmont.

La jeune entreprise, immatriculée à Puteaux, a été intégrée en novembre 2018 dans la deuxième promotion de l’incubateur Mob’tech, d’Eurogroupe Consulting, au sein de la Tour Vista. Toutes les deux semaines, les deux entrepreneuses ont été suivies par des consultants. Elles y ont affiné leur argumentaire.

« Ils nous ont appris à adapter notre discours aux grandes entreprises (qui constituent maintenant 70  % de leur clientèle, Ndlr) », commente-t-elle. Si le raisonnement reste le même, à savoir qu’il « vaut mieux faire une micro-sieste pour repartir en forme plutôt que de lutter pendant deux heures devant son écran après le déjeuner », la sémantique, elle, a changé : « lorsqu’on présente notre produit aux grandes entreprises, on ne parle plus de ‘sieste’ mais de ‘power-nap’, on met en valeur les avantages de la déconnexion ».

Sur la dalle de la Défense, Nap & Up compte maintenant Total parmi ses clients. La tour Michelet accueille ainsi un espace à sieste avec deux cocons (vendus chacun 2 900 euros). Le projet pilote a reçu le soutien de la direction : « ils ont eu la bonne démarche, car ils ont lancé l’espace avec beaucoup de sensibilisation. Un consultant en neurosciences est venu expliquer l’impact sur l’efficacité et le DRH a eu un mot pour les employés, en disant que lui-même pratiquait la micro-sieste et que la démarche était soutenue ».

« C’est important, car notre principal ennemi, ce sont les managers qui veulent pousser la productivité des salariés à fond, et qui pourraient bloquer l’accès à la sieste. En montrant que la direction est favorable, on rend la démarche possible ». Il reste toutefois du temps avant que la sieste en entreprise soit acceptée : sur la trentaine des clients que compte l’entreprise, plusieurs n’ont pas encore de cocons, mais font appel à Nap & Up pour sensibiliser les employés.