« L’effet d’image est totalement désastreux, mais pour le moment, on n’a pas d’effet… si ça dure, c’est évident que ça en aura. » Impossible d’esquiver la question du mouvement des gilets jaunes et des manifestations parisiennes mercredi dernier pour les intervenants d’une conférence proposée autour du Brexit par Paris La Défense au Salon de l’immobilier d’entreprise (Simi) donné porte Maillot. Au détour de quelques remarques portant sur les changements fiscaux impulsés en faveur des entreprises comme des salariés fortement rémunérés, le panel se montre plus sensible au développement économique qu’aux revendications des gilets jaunes.

Pour l’instant, le très attendu « Brexodus » des entreprises du secteur financier implantées en Angleterre reste relativement modéré, selon les présents à la conférence. Il se traduit plutôt par des emplois que par ses prises à bail immobilières, dans un contexte où de toute manière, l’immobilier de bureau francilien frôle la surchauffe avec un niveau très élevé de transactions depuis plusieurs années, au point que peu de surfaces de qualité seraient disponibles, en particulier à la Défense.

« Nous avons retenu 250 mouvements effectifs ou annoncés, dont le rythme s’intensifie à mesure que l’on s’approche de la date fatidique de la fin mars 2019, pour être en mesure d’assurer une continuité de service », indique Alain Pithon, secrétaire général de Paris europlace, l’organisation en charge de la promotion de la place financière de Paris. Cette « première manche » du Brexit sera probablement suivie d’une seconde une fois la décision britannique connue quant à l’après-mars 2019.

« Il est possible qu’il y ait beaucoup plus de mouvements de relocalisation du Royaume-Uni sur l’Europe », poursuit le représentant de Paris europlace qui annonce à ce jour 4 600 emplois créés en Île-de-France. Il évoque également l’après-Brexit : « Il y a une dissémination sur les autres places européennes (notamment Dublin et Francfort, Ndlr), il n’est pas impossible que les établissements financiers, assez soucieux de leurs coûts, fassent une reconcentration en Europe… et là, on a une carte à jouer sur le moyen terme. » En attendant que mars passe, Londres reste la référence internationale.

« Pour les investisseurs internationaux, notamment asiatiques, Londres est la porte d’entrée en Europe, le reste vient bien après », analyse Nathalie Charles, responsable du développement et des équipes européennes d’Axa investment managers. « Quand on regarde les chiffres de l’investissement londonien, on ne voit pas de régression, confirme en évoquant la baisse des prix immobiliers londoniens David Bourla, économiste en chef du spécialiste de l’immobilier d’entreprise Knight Frank. Il y a eu un trou d’air lors du vote, depuis, la dynamique est très bonne, […] le marché londonien va très bien, pour l’instant en tout cas. »

« Les mouvements ne sont pas tous effectifs, pas tous menés à leur terme tant qu’il y a des incertitudes sur le Brexit », rappelle Alain Pithon, secrétaire général de Paris europlace.

Les quelques milliers d’emplois issus du Brexit approchant ne se sont pas traduits en baux de dizaines de milliers de mètres carrés. « L’impact est plus modeste en termes de marché immobiliers, les mouvements ne sont pas tous effectifs, pas tous menés à leur terme tant qu’il y a des incertitudes sur le Brexit, rappelle Alain Pithon pour Paris europlace. Pour une grande partie des mouvements, cela concerne des banques qui ont déjà des espaces à Paris et pourront densifier, je pense là aux banques françaises. »

Ce n’est peut-être pas plus mal pour la Défense, compte tenu de l’actuelle pénurie de bureaux. « 4,5 % de bureaux vacants, c’est la première fois que nous avons un chiffre aussi faible », se félicite Patrick Devedjian (LR), président du conseil départemental des Hauts-de-Seine comme de Paris La Défense. Il rappelle que les constructions des tours Trinity, Alto et Saint-Gobain représentent 225 000 m² à venir, tandis que les restructurations des immeubles Window, Michelet et Belvédère apportent près de 170 000 m² au quartier d’affaires, sans même compter quatre autres tours en projet.

Alors, si le quartier a encore une image un peu institutionnelle et froide, il pourrait bien constituer un aimant, notamment pour la « fintech » et ses start-up. « A la Défense, vous avez les clients, et pour le secteur financier, c’est absolument essentiel, avance le secrétaire général de Paris europlace. L’avantage du centralisme à la française, c’est qu’on a tout ici. »

L’autre atout de la Défense, c’est le prix de l’immobilier, redevenu sensiblement moins élevé que dans le Quartier central des affaires (QCA) parisien. « Avec la montée des prix dans Paris, l’écart s’est reconstitué », précise ainsi Nathalie Charles pour Axa. « La Défense a une masse de projets de grande surface qui intéressent les grands groupes, sur un positionnement prix beaucoup plus avantageux que sur le QCA, la Défense est de 500 à 550 euros du m² contre 800 euros au QCA », confirme David Bourla pour Knight Frank.

Un critère déterminant : « On peut dire ce qu’on veut sur la qualité de vie, la santé et le wellbeing, qui sont puissants pour le marketing mais qui, à la fin, quand il s’agit de choisir un immeuble, passent après, assène Nathalie Charles des décisions des grands groupes multinationaux. La question du prix demeure essentielle, ainsi que la localisation, notamment liée aux transports. »

L’offre immobilière à destination des entreprises serait en réalité de plus en plus réduite, en particulier pour les bureaux aptes à recevoir des entreprises du secteur financier. « La vacance est de 15 %, mais sur les pôles centraux, l’offre de grade A est très réduite, quasi-nulle à Paris avec 2 % de vacance », rapporte ainsi David Bourla pour Knight Frank.

Il poursuit en signalant qu’aujourd’hui, « le volume de la vente placée sur les grandes surfaces se porte à 75 % sur les bureaux neufs ou restructurés ». Mais attention, pas question de se contenter du minimum en cas de rénovation. « La seule catégorie de bureaux has been qui ne marchera pas, c’est celui qui a mis un coup de peinture et pense que parce qu’il est bien situé, ça va marcher », complète Nathalie Charles. Elle rappelle que le marché s’est « énormément complexifié », avec des entreprises qui souhaitent désormais « raconter une histoire » à leurs salariés avec leurs nouveaux locaux.

Chez Axa, un autre écueil qui est pointé comme problématique par Nathalie Charles (ici aux côtés de Patrick Devedjian, président du Département et de Paris La Défense, Ndlr) : « Il faut qu’on apprenne en France à parler anglais de manière un peu sérieuse. »

Au rang des avantages franciliens, « nous sommes la première place financière européenne en matière de banque, d’assurance et de gestion d’actifs », affirme Paris europlace. « L’atout de Paris est d’être la seule ville en Europe à jouir du statut de ville-monde, avec Londres évidemment, met-on en avant chez Knight Frank. Cela lui permet de cumuler différents atouts, comme une offre commerciale et une densité culturelle inégalées, et sur le plan immobilier, un parc de bureaux sans commune mesure (l’Île-de-France compte 55 millions de mètres carrés, contre 13 millions à Francfort, Ndlr). »

De quoi constituer une garantie de revente rapide aux investisseurs ? « On a une profondeur de marché. Aujourd’hui, on peut avoir le discours de dire à des gens qui présentent des capitaux mondiaux « venez investir à Paris même si vous pensez que depuis 30, 40 ou 50 ans, c’est Londres, il existe une autre porte d’entrée à l’Europe que vous ne connaissez pas », expose Nathalie Charles. Vous voulez vendre votre immeuble dans 20 ans, vous pouvez, vous voulez le vendre dans trois ans, vous pouvez aussi. Ces capitaux mondiaux représentent des retraités, des fonds de pension ou des capitaux chinois, ils ont des retours à délivrer, pour eux, savoir qu’il y a une liquidité est important. »

D’autres avantages, nationaux ceux-ci, sont pointés par le panel d’intervenants, et d’abord le régime fiscal des impatriés et ses nombreux abattements destinés aux dirigeants et salariés étrangers venant exercer en France. « C’est un régime fiscal attractif pour faire venir en France les talents, il a été créé en 2003 et renforcé progressivement », indique-t-on chez Paris europlace. Patrick Devedjian, qui le loue également, note par ailleurs positivement « un code du travail qui a évolué » ces dernières années.

Insuffisant face à la concurrence ? « Il faut être très clair et très lucide, on est entre nous, en France, on a un vrai problème de coût du travail qualifié », s’émeut Alain Pithon d’avancées jugées insuffisantes. Il rappelle également un dernier point : « Améliorer tout ce qui est environnement, notamment notre droit financier ». En effet, selon lui, « on est en compétition aussi là-dessus », mais pour l’instant, « les émissions de nouveaux instruments financiers en Europe sont faits à Londres, au Luxembourg et à Dublin. » Chez Axa, c’est un autre écueil qui est pointé comme problématique par Nathalie Charles : « Il faut qu’on apprenne en France à parler anglais de manière un peu sérieuse. »