Dans un an, 5 % à 10 % des dizaines de milliers de salariés de 13 grandes entreprises de la Défense auront-ils fait le choix de venir travailler plus tôt ou plus tard le matin, en tout cas hors de l’heure de pointe la plus chargée des transports en commun passant par le quartier d’affaires ? C’est en tout cas l’objectif qu’elles se fixent en signant chacune une « charte d’engagement » avec l’établissement public gestionnaire et aménageur du quartier, Paris La Défense, ainsi qu’avec la RATP, la SNCF, Île-de-France mobilités et la Région.

Pour atteindre ce but, elles pourront utiliser, à partir du lancement de l’opération prévu en janvier 2019, tous les moyens modernes à leur disposition, du télétravail au vélo en passant par la marche à pied, le covoiturage ou l’autopartage. Mais surtout, les sociétés concernées devront miser sur l’acceptation en leur sein d’arrivées en horaires décalés, sur l’instauration d’une « plage d’arrivées tolérées » ainsi que sur une réflexion sur la suppression des réunions, rendez vous et visites « avant 10 h et après 17 h », selon le projet de charte que La Gazette s’est procuré.

Révélée par le JDD il y a une dizaine de jours, cette charte d’une durée d’un an renouvelable a été validée au niveau du conseil régional d’Île-de-France le 21 novembre dernier. Elle a été votée lors d’une commission permanente ayant validé le principe d’une subvention de près de 15 000 euros, destinée à aider financièrement Paris La Défense à organiser un « challenge mobilités » de six mois afin d’inciter les salariés à éviter d’arriver en transport en commun entre 8 h 30 et 9 h 30.

A la Défense, le constat est en effet sans appel : quels qu’ils soient, les transports en commun sont surchargés en heure de pointe, et même carrément invivables pour les plus de 100 000 usagers les empruntant lors de « l’hyperpointe » du matin, de 8 h 30 à 9 h 30. Ils subissent « des conditions de transport dégradées », reconnaît le conseil régional qui s’inquiète « des conséquences sur leur travail et plus largement sur la productivité des entreprises franciliennes ».

Les transports en commun sont surchargés en heure de pointe, et même carrément invivables pour les plus de 100 000 usagers les empruntant lors de « l’hyperpointe » du matin, de 8 h 30 à 9 h 30.

Deux autres zones d’Île-de-France ont été identifiées par la Région pour « lancer des expérimentations de lissage des heures de pointe […] en encourageant de nouveaux comportements », le secteur Frand Paris Sud et ceux entourant les branches Nord de la ligne 13 du métro. Mais c’est bien à la Défense que semble espéré le gain le plus sensible, 85 % des 180 000 salariés du quartier utilisant les transports en commun pour s’y rendre.

« Les entreprises et administrations s’engageront à réduire de 5 % à 10 % le nombre de salariés et d’agents à l’heure de pointe du matin, poursuit le conseil régional dans son rapport. En contrepartie, la Région, Île-de-France mobilités, les partenaires locaux (Paris La Défense, Ndlr) s’engageront à diverses mesures d’accompagnement pendant toute la durée de l’expérimentation. »

Afin de « créer une dynamique » à la Défense, une incitation passera par un « challenge mobilité » pour six mois renouvelables. Ce défi incitatif passera par l’intermédiaire de l’application mobile de la start-up Transway, « qui a conçu un programme dématérialisé d’incitation au management de la mobilité ». Ce dernier use de trois branches : « l’information, la communauté et l’incitation (récompense) », le tout encourageant « le changement de comportements des salariés par le biais de systèmes de fidélisation ».

« L’aberration francilienne, c’est que nous dépensons des milliards d’euros pour avoir un magnifique réseau de transports, alors que 71 % du trafic quotidien en semaine est effectué pendant les heures de pointe, en particulier le matin, fait remarquer au JDD la présidente du conseil régional comme de son institution satellite Île-de-France mobilité, Valérie Pécresse (LR). Les lignes sont à moitié vides le reste du temps. »

C’est bien à la Défense que semble espéré le gain le plus sensible, 85 % des 180 000 salariés du quartier utilisant les transports en commun pour s’y rendre.

Selon le quotidien du dimanche, une expérimentation lancée en 2015 en Seine-Saint-Denis avec six sociétés représentant environ 20 000 salariés aurait permis des « résultats rapides et importants », donnant alors des idées à la Région. A la Défense, la charte signée par chaque entreprise sera d’une durée d’un an renouvelable deux fois, avec pour objectif que 5 % à 10 % de leurs salariés évitent la pointe du matin au bout de la première année.

« Le quartier est très bien desservi, c’est un hub majeur, note dans les colonnes du JDD Marie-Célie Guillaume, directrice générale de Paris La Défense. Mais en attendant l’arrivée du RER E en 2022 et de la ligne 15 du Grand Paris express en 2030, les quais sont pleins, les rames bondées, surtout le matin. L’heure de pointe n’a pas évolué depuis 1976 ! »

Toutes les entreprises signataires sont des géants du quartier, avec des centaines voire milliers de salariés pour chacune d’elles : Allianz, Axa, EDF, Engie, EY, Indigo, In’li, les 4 Temps, Primagaz, RTE, Saint-Gobain, Société générale et Total. Au total, ces incitations à libérer les transports en commun au moment où ils sont le plus saturés concerneront « entre 35 000 et 50 000 salariés ». Le « challenge mobilité » auquel la Région participe financièrement permettra de « récompenser les salariés qui jouent le jeu avec des cadeaux ».

Afin de permettre au personnel d’éviter l’heure matinale fatidique où les transports sont invivables, les treize sociétés signataires de la charte d’engagement pourront instaurer des horaires décalés. La charte recommande « la mise en place d’un socle commun de présence, par exemple de 10 h à 15 h, permettant des arrivées tôt dans la matinée ou plus tard, et des départs plus tôt ou plus tard », mais aussi « l’instauration d’une plage d’arrivée tolérée, de 6 h à 10 h 30 par exemple », ou bien encore « la sensibilisation des salariés, en particulier des managers, sur la non-imposition de contraintes, réunions, rendez-vous, visites, avant 10 h et après 17 h ».

« Cette démarche implique nécessairement un engagement de l’entreprise au plus haut niveau par l’accompagnement managérial », rappelle la charte d’engagement des entreprises.

Mais les modalités pratiques de ces treize chartes d’engagement ne passeront pas uniquement par un décalage des horaires d’arrivée au bureau. Elles reposent en effet aussi sur l’instauration de « un à deux jours de télétravail par semaine (à domicile, dans des télécentres ou espaces de coworking, Ndlr) d’une grande partie des salariés, minimum 20 %, et/ou la mise en place d’un quota de jours supplémentaires à poser au cours de l’année pour les fonctions qui ne peuvent pas être télétravaillables sur l’ensemble de l’année ».

Enfin, cette charte vise à ce que les entreprises poussent leurs salariés à changer de mode de transport. Cela comprend « des dispositions en faveur de la pratique du vélo », comme la création de locaux de stockage ou d’espaces de stationnement, ainsi que d’une indemnité kilométrique ou la location de vélos à assistance électrique. L’autopartage est aussi au programme avec « la mise à disposition d’une flotte de véhicules, de places de stationnement, ou encore l’adhésion à une plateforme ».

Les automobilistes ne devraient cependant pas être oubliés. Les chartes invitent en effet à « des mesures en faveur du covoiturage pour les salariés se déplaçant en voiture aux heures de pointe pour les trajets domicile-travail ou autres trajets professionnels », comme un système en ligne et inter-entreprises de covoiturage, une subvention des trajets à plusieurs ou la « mise à disposition de places de stationnement ».

Le pari est ambitieux, sera-t-il payant ? Seule certitude : « Cette démarche implique nécessairement un engagement de l’entreprise au plus haut niveau par l’accompagnement managérial, et en particulier celui du « top management », primordial pour la réussite de cette opération », rappellent les signataires de la charte d’engagement de chacune des entreprises concernées.