La nouvelle passerait presque inaperçue dans le quartier d’affaires de la Défense. Elle a pourtant fait l’effet d’une bombe dans le cœur des joueurs : l’équipe numéro 1 de Léonard de Vinci est la favorite du tournoi estudiantin la Grosse ligue, organisé autour du jeu en ligne League of legend. Elle devrait représenter la France, dans les mois à venir, dans une compétition d’envergure mondiale. Un accomplissement rendu possible par le soutien de l’établissement.

Le cas « Leonard de Vinci » est unique en France. Longtemps méprisé et tourné en dérision, le e-sport, c’est-à-dire la pratique du jeu vidéo en compétition, s’invite dans le pôle universitaire privé de la Défense, et s’y offre des lettres de noblesse. Au point de valoir à ses adhérents de haut niveau des crédits universitaires ECTS, qui contribuent à valider leur formation académique.

Il est 14 h jeudi dernier au pôle universitaire. Tandis que certains enfilent leurs crampons, Jacques Arnal, Gil Loux, Sébastien Fock-Lapp, Gabriel Basbous, Rémy Chio, et Piravin Naganathan retournent dans leurs salles de classe. Pendant les 2 h obligatoires de sport, ici d’e-sport, les étudiants vont scruter à la loupe la vidéo de leur dernier affrontement, sous l’œil impitoyable de leur coach Rhobalas, un youtubeur engagé par l’établissement.

« Là, on s’en sort, mais tu aurais dû décaler plus tôt sur ta ligne pour aider ton équipier. » Le vocabulaire du coach reprend parfois à s’y méprendre celui de sports plus traditionnels. L’équipe regarde attentivement son match, diffusé sur le tableau de la classe. L’ambiance est détendue : l’équipe est facilement venue à bout de son adversaire, deux parties à zéro.

Si les joueurs se chamaillent et se chambrent gentiment lors de cette séance, l’enjeu n’en est pas moins important pour les étudiants. « Si on arrête, ou qu’on est absent, on risque un zéro dans la matière, concrètement, ça nous invalide des crédits universitaires, indique l’un des joueurs. Ça a d’ailleurs été un argument pour recruter un coach et attirer des sponsors, parce que ça montre qu’on est sérieux et qu’on va s’engager dans la durée, au moins pour l’année en cours. »

Plus fournis que ceux de League of Legend, les effectifs de la section Fortnite discutent des stratégies à mettre en place.

Signe de l’intérêt que suscite l’équipe auprès des entreprises, la société de conseil en informatique et en finance Invivoo, totalement étrangère au domaine, les soutient à hauteur de plusieurs milliers d’euros pour l’année en cours. Une somme qui leur permet de produire leurs maillots auprès d’Ace e-sport, un site internet français spécialisé dans la vente de vêtements liés au secteur, ainsi que de financer leurs déplacements en compétitions.

« Ici, l’e-sport est considéré comme un sport, et donc, on mimique exactement la même chose que ferait un sport universitaire, comme le football en compétition ou le handball en compétition », explique Mickaël Garimé, responsable e-sport à Léonard de Vinci. « On est le seul campus en France à le faire, s’ennorgueillit-il. Notre modèle, c’est qu’on laisse l’opportunité à nos étudiants dès la rentrée de choisir entre un sport en compétition, un sport en initiation, ou l’e-sport, pour lequel il faut déjà avoir un très bon niveau. »

S’il est possible de choisir n’importe quel sport au niveau initiation, ce n’est pas possible pour les jeux vidéo, qui recrutent l’élite des joueurs parmi leurs 5 500 élèves. « On commence à considérer les candidatures à partir du niveau « platinium 2 », mais le niveau est tellement élevé qu’en général, ça ne suffit pas », se félicite Mickaël Garimé. Sur les deux équipes de League of legend, la meilleure, nommée « météore », jouit d’un niveau moyen de « diamant 3 », soit 0,1 % des meilleurs joueurs du serveur de l’Europe de l’Ouest, qui compte près de trois millions de joueurs.

Pour arriver à ce niveau, les joueurs s’entraînent d’arrache-pied. Seul Gil a dû « lever le pied » pour s’investir davantage dans ses études. Les « scrims », matchs qui réunissent toute l’équipe, représentent environ 12 h par semaine. Seuls, les joueurs peuvent s’entraîner beaucoup plus. « J’espère que ma mère ne va pas lire l’article, parce qu’en solo, je dois être à 35 h d’entraînement par semaine », confie l’un des jeunes talents sous l’œil complice de ses partenaires.

Mickaël Garimé, parfois sollicité par des parents inquiets, fixe les limites. « Il faut déjà comprendre que l’on sélectionne uniquement des joueurs de bon niveau, ils ne sont pas arrivés là par hasard, ils jouent déjà beaucoup avant d’arriver à Léonard de Vinci, explique le responsable e-sport. Ils sont tenus de rester maîtres de la situation, et je les préviens dès le début d’année : si leur implication nuit à leur parcours scolaire, ils seront immédiatement exclus de l’équipe ».

Symbole de fierté de l’établissement universitaire, le tableau des résultats sportifs affiche les résultats de foot, de handball… et de League of Legend.

S’ils sont « les numéros un de toute la ligue étudiante française », les joueurs sont loin d’être assurés d’accéder au niveau professionnel, milieu où il y a « beaucoup d’appelés pour très peu d’élus ». Gil fonde quelques espoirs, il « aimerait consacrer six mois, un an » au projet, pour « se pousser à fond après ses études » et voir s’il peut « passer pro ».

Ce jeu en ligne n’est pas le seul proposé par le groupe Léonard de Vinci. Ces dernières années, un nouveau jeu attire la lumière : Fortnite. Fort de son statut de jeu le plus joué au monde, avec 180 millions de joueurs, le studio Epic Game compte bien se tailler la part du lion. Sur Twitter, le studio a lancé un pavé dans la mare le 21 mai dernier, en annonçant investir 100 millions d’euros de dotations pour ses compétitions organisées sur les années 2018 et 2019. Depuis, gagner une compétition peut rendre millionnaire.

« On en est encore loin ! », sourit Marie-Amélie, manageuse des équipes Fortnite. L’étudiante est en première année à l’Institut de l’internet et du multimédia (IIM), l’une des trois écoles du pôle universitaire avec l’Esilv, une école d’ingénieurs, et l’EMLV, une école de management. Après sa rentrée en septembre, elle a été repérée lorsqu’elle a remporté un tournoi de Fortnite sur mobile, à la convention Paris games week.

« Eux, ils jouent, et moi, je m’occupe du reste ! C’est à dire l’administratif : trouver les hôtels, gérer les déplacements, et bien sûr la stratégie ! » Pour cette tâche, elle est aidée par Michel, un élève en quatrième année de l’école d’ingénieurs. A eux deux, ils gèrent trois équipes de quatre joueurs : « Là, on essaye de préparer la stratégie, et de voir quelles sont les trajectoires des autres équipes ».

Parmi les trois équipes, l’une commence a obtenir des résultats. « Ldv Alright » s’est ainsi illustrée en finissant seconde de sa « poule élite » à la Gamer assembly de Poitiers, qui s’est déroulée lors du week-end des 10 et 11 novembre dernier. Bien que septièmes au classement final, l’expérience a pu renforcer le moral des joueurs, et les laisse espérer, comme les Bleus, pouvoir un jour « ramener la coupe à la maison ».

Une coach féminine dans un milieu très masculin

« Les gars vous m’écoutez maintenant ! ». Lors des entraînements du jeudi après-midi, à Léonard de Vinci, université située en plein cœur de la dalle, la jeune entraîneuse de première année jouit d’une belle autorité. Seule femme du pôle e-sport, et seule manageuse d’équipe, elle doit parfois jouer des coudes dans un milieu qui se compose essentiellement de garçons.

Encore marqué par le sexisme et de régulières polémiques sur la place des femmes, le milieu du jeu vidéo commence doucement à changer, et avec lui, les mentalités qui l’accompagne. Les femmes sont encore très rares aux LAN, les évènements de compétitions qui rassemblent les joueurs dans un lieu physique.

« Lors de notre dernière compétition à Poitiers, on devait être deux filles sur plus de 300 personnes », se rappelle ainsi Marie-Amélie. « Il faut s’habituer, moi ça va parce que je suis dans l’univers du e-sport depuis longtemps, tous mes amis sont dans le e-sport, et c’est majoritairement des mecs. » Elle pointe du doigt une situation plus favorable que ne le laisse imaginer les titres de presse : « En général, les garçons nous accueillent bien, nous les filles. Je dirais même qu’ils nous aident plus lorsqu’on a un problème qu’ils ne s’aideraient entre eux ! »