Cent millions. C’est le nombre de mégots qui finissent écrasés sur la dalle de la Défense chaque année. La nettoyer en profondeur est une tâche qui se répète sans cesse, leur présence n’étant pas sans conséquences environnementales : un seul mégot de cigarette, constitué de 4 000 produits chimiques, peut polluer jusqu’à 500 litres d’eau. Ce sujet n’a rien de nouveau, il reste néanmoins un véritable casse-tête pour Paris la Défense.

Mais si la sensibilisation du quartier d’affaires progresse lentement, à en juger par les réponses des salariés interrogés par La Gazette, les solutions techniques proposées connaissant un succès encore mitigé. Après avoir essayé les cendriers de la société Cigabox en 2016, l’établissement public d’aménagement et de gestion du quartier les a remplacés en 2018 par ceux de l’entreprise Cy-clope, qui veut recycler ces déchets si petits et pourtant si encombrants.

« Il n’y a juste pas assez de cendriers », critique un jour de septembre Xavier, fumeur en costume qui se rend au travail. « OK, il y en a quelques-uns », concède-t-il lorsqu’ils lui sont désignés, « mais ils sont aux sorties des transports » . Il indique ne pas avoir le temps de patienter aux emplacements choisis jusqu’à présent pour les installer : « Quand je sors des transports, j’allume ma cigarette, je ne la finis pas. »

« C’est vrai », acquiesce un autre fumeur qui allume une cigarette près de la sortie du RER A. « Je ne vais pas rester ici pour fumer ma clope, je la fume sur le trajet, fait-il remarquer de son quotidien de salarié pressé plutôt mécontent de l’injonction environnementale à ne pas les jeter sur la dalle. Vous en voyez beaucoup, des cendriers, sur l’esplanade, vous ? »

Moins remontés, sur l’heure du midi, quelques fumeurs semblent davantage sensibilisés. Pour Virginie, 39 ans, le déclic se serait fait après un reportage à la télévision : « J’ai vu qu’une cigarette polluait des centaines de litres d’eau, et puis je fumais trop, du coup, maintenant, je me suis mise à la cigarette électronique, et je me garde des cigarettes industrielles pour le plaisir de temps en temps. »

Dans cet esprit de sensibilisation, le vendredi 14 septembre était d’ailleurs donnée au pied de la Grande arche une opération médiatique destinée à promouvoir le World cleanup day, proposé par l’association du même nom le 15 septembre, en France comme dans le reste du monde. Avec le soutien de l’entreprise Cy-clope, chargée des cendriers du quartier, responsables du World Cleanup day et bénévoles de l’association ont ramassé des centaines de restes de cigarettes.

« Chacun d’entre nous doit se mobiliser », a invité la secrétaire d’État à la transition écologique Brune Poirson, présente le 14 septembre sur la dalle dans le cadre du World cleanup day.

Devant un parterre de caméras, la secrétaire d’État à la transition écologique Brune Poirson s’est affairée, longues baguettes et bouteille plastique en main, à retirer quelques mégots coincés dans les interstices de la dalle, destinés à être ensuite recyclés par Cy-clope. « L’État seul ne peut pas tout » a-t-elle affirmé, avant de continuer : « Chacun d’entre nous doit se mobiliser, pour que collectivement, nous mettions des solutions en œuvre. »

Une idée semblait faire consensus parmi les gens présents : ce n’est pas l’amende de deuxième catégorie sanctionnant le jet d’un mégot par terre, d’un montant de 68 euros, qui changera les attitudes. « Tout l’enjeu, c’est d’inverser la tendance, faire en sorte que ce ne soit pas normal de jeter son mégot par terre », explique plutôt Vincent Mugnier, secrétaire de World cleanup day France.

« C’est une excuse de dire qu’il n’y a pas assez de cendriers », estime d’ailleurs Brigitte Marmeys, mère de famille putéolienne et militante LREM. « Ce qu’il faut faire, c’est réussir à donner mauvaise conscience aux fumeurs en leur montrant que l’on ramasse », propose-t-elle. « Je pense que les gens ont juste la flemme, même si ça change un peu », commente, un peu dubitatif, Dylan Rocque, étudiant de 19 ans en première année de sciences politiques venu participer à l’enlèvement des mégots.

« On est encore dans une phase expérimentale, depuis six mois avec Cy-clope », explique du partenariat avec la jeune pousse lyonnaise Jean Benhedi, du département Responsabilité sociale et environnementale (RSE) de Paris La Défense. « Une quinzaine de cendriers », aux couleurs vert fluo de Paris la Défense ont été mis en place en remplacement de ceux de Cigabox.

« Les retours sont plutôt positifs, après reporting du nombre de mégots, on pense en mettre une cinquantaine, voire une centaine, avance le responsable de Paris La Défense de la réussite de ces installations. A l’heure actuelle, les mégots bloquent même les canalisations, de temps en temps, on doit mettre en place des opérations de curage. »

« On les veut 100 % personnalisables, pour les rendre attrayants aussi aux entreprises », détaille des cendriers installés en début d’année Antoine Di Tommaso, cofondateur de la jeune pousse Cy-clope.

Dans le quartier d’affaires, quel est l’objectif de la start-up aux cendriers baptisés « cy-clopeurs », colorés aux couleurs du gestionnaire du quartier sur la dalle ? « On les veut 100 % personnalisables, pour les rendre attrayants aussi aux entreprises, détaille Antoine Di Tommaso, cofondateur de Cy-clope. On travaille avec plusieurs entreprises de la Défense, comme Allianz, Suez, Technip ou le ministère du développement durable. »

Bien d’autres cendriers pourraient prochainement être installés dans le cadre de cette promotion auprès des grandes entreprises de la Défense. « On les met à leurs couleurs, par exemple pour la Société Générale, ils sont rouge et noir, pour Allianz ils sont bleu et noir, etc. », poursuit le chef d’entreprise des cendriers déjà installés à ce jour devant quelques-unes d’entre elles.

« Après avoir récolté les mégots, on les envoie à Chimirec, une entreprise spécialisée dans le traitement des déchets dangereux, explique-t-il par ailleurs du processus de recyclage actuellement réalisé sur ces déchets toxiques. Ils les mélangent avec d’autres déchets, transforment le tout en une pâte, puis en poudre ». Les mégots sont alors recyclés et utilisés pour la préparation du ciment, à la place de copeaux de bois.