Avec leur nouvelle disposition en smart office, aussi appelé flex office, les salariés de Marsh n’ont plus de bureau désigné. Ils choisissent une place… là où il en reste dans leur service. S’il permet une meilleure optimisation du taux d’occupation des lieux, cette nouvelle organisation de l’espace permet surtout un meilleur travail d’équipe, estiment les dirigeants de la société de courtage de la tour Ariane, à deux pas du centre commercial des 4 Temps.

Importé des start-up de la Silicon valley américainee, successeur désigné de l’organisation en open space, le smart office constitue depuis quelques semaines une petite révolution pour le courtier Marsh comme pour ses 650 salariés. Les nouveaux locaux ont été réduits de deux étages et demi par rapport à la situation antérieure, déjà au sein de la tour Ariane, dont le coût du foncier, selon nos informations, s’élève à environ un million d’euros par an et par étage.

« L’idée est d’installer beaucoup plus de transversalité », explique France Vagner, la directrice des ressources humaines du courtier. « Il a fallu préparer les salariés, reconnaît-elle. Ils n’ont plus de bureaux attitrés, mais disposent d’un casier pour leurs affaires personnelles. » La société leur a confié un ordinateur portable et un casque faisant office de ligne de téléphone fixe, qu’ils branchent à un double écran sur des postes de travail standardisés.

Si les grandes entreprises sont de plus en plus nombreuses à regarder de près ce nouveau type de locaux, qui s’accompagnent d’une nouvelle organisation du travail, ce serait d’abord afin de « réduire leurs charges foncières », analyse Cédric le Forestier, directeur associé d’Icône, un tout nouvel espace de travail partagé du quartier d’affaires. « Le smart office s’adapte bien pour les entreprises qui ont des travailleurs nomades, explique-t-il également. Avec l’évolution technologique, on assiste à une évolution du tertiaire. »

Chez la filiale française du courtier Marsh, l’importation de ce nouveau modèle serait due à l’arrivée d’un nouveau président. « On est aussi dans une période où on demande à tous nos collaborateurs de faire des économies afin d’investir dans la qualité de service pour nos clients, commente celui-ci, Fabrice Domange. Quand j’ai vu que nous avions un restaurant d’entreprise haut de gamme qui nous coûtait près de 600 000 euros par an, j’ai décidé de couper avec cette tradition de l’ancien monde. »

Cet immense changement a cependant nécessité un an de travaux, au coût non négligeable. Il sera rentabilisé sur le long terme par la réduction massive de l’espace occupé, rapporte Fabrice Domange, seul à encore disposer d’un bureau. « Nous avons renégocié nos loyers sur dix ans auprès de la tour Ariane, explique-t-il. Cela reste intéressant pour eux de garder une entreprise triple A (prestigieuse et financèrement saine, Ndlr) comme la nôtre. »

Dans les cinq étages encore occupés par Marsh, le smart office casse la disposition traditionnelle en open space mise en place en 2006, pour proposer trois fois plus de salles de réunion, de nouvelles salles de pause ou encore des salles de « brainstorming ». Avec pour objectif le décloisonnement des services et la promotion des communications entre collègues, les locaux s’embellissent d’un vernis de modernité.

La petite cafétéria terne de 8 m² est devenue le « social hub », un espace de plus de 40 m² aux couleurs flashy et au mobilier design.

La petite cafétéria terne de 8 m² devient le « social hub », un espace de plus de 40 m² aux couleurs vives et au mobilier design qui permet de prendre une pause assis sur un canapé en regardant les chaînes d’information en continu, diffusées sur un immense écran plat. Une console de jeu et un baby-foot sont installés dans des « innovatives rooms » destinées à stimuler la créativité.

« Il ne faut pas réduire notre disposition en smart à quelque chose d’uniquement logistique », nuance France Vagner de cette nouvelle organisation des espaces de travail permise par la généralisation des outils numériques : « La disposition des bureaux en smart s’anticipe, se partage, c’est aussi une révolution technologique, avec la diminution de 70 % des espaces liés au papier. » Soixante tonnes de documents papiers ont ainsi été numérisés afin de permettre la transition.

« Avec beaucoup plus de liberté, la possibilité de s’installer où l’on veut, ou encore de faire du télé-travail, modifie le comportement managérial vers plus de confiance et de prise d’autonomie », estime Fabrice Domange de l’influence de ces nouveaux locaux sur l’organisation du travail.

« Je ne pense pas que les salariés soient en recherche d’une appropriation du lieu de travail, explique France Vagner de ce changement titanesque pour les salariés. Ce qu’ils veulent, c’est un environnement de travail de qualité, obtenu grâce à une bonne collaboration entre collègues, avec un sentiment de liberté dans l’entreprise, avec une communication transparente, ou encore en proposant un vrai plan de carrière. »

« Quand je suis arrivé, j’ai trouvé des équipes trop dans leurs lignes », se remémore le président de Marsh France. Lui voulait « casser les silos », c’est-à-dire décloisonner le fonctionnement des différents services pour améliorer l’efficacité de la filiale française du courtier. Avec une croissance à deux chiffres en 2017, le nouveau responsable de la société semble avoir réussi son pari.

Les salles de réunions se réservent grâce à des écrans tactiles à leur entrée.

Au sein des organisations syndicales présentes à La Défense, qu’il s’appelle smart office ou flex office, les avis sont encore prudents, semble-t-il, faute de bien connaître cette nouvelle révolution des espaces de travail. « En réalité, c’est juste un effet de mode », répond cependant sans ambages Francis Botalico, secrétaire général de l’union locale de la CGT de la Défense, qui évoque d’ailleurs de telles initiatives déjà prises par le passé, il y a plusieurs décennies.

« C’est une véritable maladie française, de faire croire que des choses sont nouvelles alors qu’elles existent depuis longtemps », poursuit-il. « L’essentiel, c’est de voir quelles sont les contreparties, indique de son côté Vincent Pigache, secrétaire général de l’Union départementale interprofessionnelle CFDT des Hauts-de-Seine, syndicat d’ailleurs présent chez Marsh. On n’est pas contre, dans la mesure où ça peut améliorer les conditions de travail. »

Le changement de disposition de ces locaux tertiaires où le poste de travail fixe disparaît semble souvent soutenu par une démarche de « design thinking », plus ancienne mais encore relativement récente en Europe. « On ne force pas au smart office, on fait adhérer au smart office », met ainsi en avant la directrice des ressources humaines de Marsh. En amont, 80 réunions de préparations ont été organisées, avance la société.

Entre six et huit salariés par étage, parmi les plus motivés, ont été choisis pour devenir « ambassadeurs » du smart office. Ces « agents infiltrés », selon la formule utilisée au sein de l’intranet de l’entreprise, faisaient remonter des informations sur les envies des salariés vers la direction, ou leur proposaient de voter pour choisir les noms des salles de réunion.

« A notre étage c’était les planètes ou les îles, plaisante Hélène Bajeux, directrice de la communication. Malheureusement, ce sont les planètes qui ont gagné. » Lors de la préparation du passage au smart office, quelques craintes ont aussi été exprimées concernant la confidentialité, rapporte la directrice des ressources humaines, dont le service a été entouré de salles de réunion afin d’éviter tout problème à ce niveau.

Le smart office a cependant connu quelques ratés au lancement. « Par exemple, on a tous un casque pour téléphoner, au début le casque avait deux oreillettes, ce qui faisait que les gens parlaient beaucoup trop fort, et empêchaient leurs voisins de se concentrer, se rappelle France Vagner. Maintenant, on est passé à une seule oreillette. » Les retours des salariés interrogés en septembre sont cependant largement favorables au dispositif. « C’est globalement très positif, on aurait même du mal à revenir en arrière », notent Magalie et Paul-Edouard, du service support international.

Selon nos informations, les soucis techniques, pas rares après de tels travaux de rénovation, poseraient aussi parfois problème, compte tenu de la nécessité vitale de l’efficacité numérique dans un tel environnement de travail. « J’ai déjà perdu un gros client, il a pété un câble et m’a dit « vous me rappellerez quand vous aurez du matériel qui marche » », remarque ainsi un salarié du réseau Wifi encore un peu vacillant.

Paris La Défense passé au flex office depuis la fusion

Les nouveaux locaux de l’établissement public d’aménagement et de gestion du quartier d’affaires, issu de la fusion de deux organismes publics au 1er janvier 2018, n’ont pas encore officiellement été inaugurés. Mais une poignée de visiteurs ont déjà pu découvrir les trois étages occupés dans la tour Coeur Défense, lors du festival Urban week organisé en septembre. « Il fallait favoriser le rassemblement des équipes », explique Céline Roncière, responsable du pôle workplace experience chez Paris La Défense.

Il est en effet le premier établissement public de France à avoir adopté le flex office, et l’organisation se reflète à chaque coin de couloir, des casiers aux salles de réunion en passant par les espaces communs ou ce qu’il reste d’open space : un, deux ou trois écrans font face aux salariés, qui peuvent éventuellement s’instraller dans de petites cabines isolées permettant plus de discrétion et moins de bruit. Recevoir un invité extérieur en réunion peut se faire au milieu du passage, dans d’immenses fauteuils au sein du nouvel auditorium flexible.

Comme chez Marsh, le déménagement s’est accompagné d’une numérisation complète de la documentation. «  Nous voulions être exemplaires et favoriser la transversalité au maximum, […] et favoriser le rassemblement des équipes, a détaillé Céline Roncière aux invités lors de cette visite. Il y a toujours des personnes qui ont besoin de plus de repères ou qui sont réticentes à ce mode de fonctionnement-là, mais c’est inhérent à chaque entreprise… »