Il est le seul conseiller à ce jour à avoir participé à la création du conseil de prud’hommes de Nanterre. Après 42 ans passés au tribunal, dont 18 ans en alternant entre présidence et vice-présidence du conseil, Michel André a décidé de « passer la main ». L’occasion pour lui de dresser le bilan, sur l’évolution du conseil et le poids des «réformes Macron», de pointer du doigt la mésentente entre la magistrature de carrière et le conseil prud’homal, le manque de personnel ou encore de craindre l’ingérence du politique dans la justice du travail. Interview.

La Gazette de la Défense : Vous êtes présent au conseil de prud’hommes de Nanterre depuis sa création en juin 1977, comme conseiller auprès du collège employeur. Vous êtes devenu vice-président de la section section commerce, puis de la section encadrement pour terminer en janvier 2001, comme vice-président du conseil de prud’hommes de Nanterre. Pourquoi partir maintenant ?

Michel André : Mes deux prédécesseurs avaient tous les deux fait des mandats de dix ans, moi j’en étais déjà à 18 ans, et par ailleurs j’ai 78 ans, je me suis dis qu’il était temps de passer la main. Mais je ne pars pas totalement, puisque je reste conseiller à la section activités diverses et formateur du collège employeur des conseils de Boulogne-billancourt et de Nanterre.

André Michel a passé 18 ans à la tête du conseil de prud’hommes de Nanterre.

LG : Au gré de ces décennies, quelles sont les évolutions majeures que vous avez constatées dans la prud’homie ?

M.A : Pendant ces 42 ans, il y a eu une énorme évolution des textes et de la jurisprudence. Il y a 25 ans, à cette époque ces textes avaient pour conséquences 60 % de déboutés pour 40 % de condamnations, maintenant c’est l’inverse. Il est à noter que le code du travail notamment est très interprétatif et qu’il engendre une jurisprudence sociale abondante. Bien sûr, la majorité des affaires a toujours été les contestations de licenciement, qui représente 80 % du volume d’affaires. Je constate que nous avions une jurisprudence très favorable aux salariés, mais il semble qu’elle a évolué au cours des cinq dernières années.

LG : On donne souvent une tendance à certains conseils de prud’hommes d’être pro-salariés, diriez-vous que c’est le cas à Nanterre ?

M.A : Le conseil n’est ni pro salariés ni pro employeur, il juge en toute impartialité. Il y a certes des délibérés difficiles, mais dans 80 % des cas nous arrivons à une décision. Quant aux 20 % restants, il s’agit de questions de principe pour lesquelles les conseillers se mettent en partage de voix. Si historiquement, on a pu constater une véritable lutte des classes, notamment dans les cinq premières années du conseil, elle était essentiellement due aux mouvements durs dans certaines entreprises du nord du département. Le climat est maintenant serein, d’ailleurs les grèves d’entreprises ne sont plus vraiment d’actualité.

LG : La France est pourtant le théâtre de mouvements sociaux d’ampleur, avec le 13e acte des gilets jaunes samedi dernier…

M.A : Le contexte est totalement différent, d’ailleurs, vous remarquerez que le mouvement des gilets jaunes ne parle pas de la justice, en tout cas pas de la justice prud’homale.

LG : Le conseil de Nanterre juge beaucoup d’affaires d’entreprises de la Défense, quelle est l’influence du quartier d’affaires ?

M.A : Le quartier de la Défense amène des affaires liées à l’encadrement et au commerce. Ces deux sections représentent 75 % des volumes des affaires annuelles du conseil. Quant à la section encadrement, elle est la première section sur le plan national.

LG : Vous avez eu l’occasion de faire 12 ans de défense patronale, entre 1992 et 2003, dans toute la France, quelle est l’image du conseil de Nanterre au-delà de ses frontières ?

A.M : En plaidant pour des affaires autres que celles de Nanterre, comme à Marseille par exemple, j’ai sondé l’avis des avocats sur le conseil de Nanterre, en évitant de dire que j’en venais. J’ai toujours entendu parlé de Nanterre comme d’un conseil rigoureux et sérieux. Il se place au 5e rang des 210 conseils du territoire. Nous avons 52 % de recours devant la cours d’appel de Versailles, taux très inférieur au taux national de 66 %. C’est aussi parce que nous soignons les motivations et les rédactions de jugements : ce sont deux points sur lesquels j’ai toujours insisté auprès de mes collègues pour leur expliquer qu’une bonne rédaction et une bonne motivation pouvaient empêcher les parties de former un recours.

LG : Vous soulignez régulièrement le manque de personnel, de greffes, au tribunal de Nanterre, qu’en est-il ?

M.A : Le conseil a toujours été en sous-effectif, et il y a en permanence un besoin de fonctionnaires. D’aussi loin que je me souvienne, le manque de personnel a toujours été présent dans les discours des présidents. Par exemple, nous avons fait l’objet d’une commission de contrôle diligentée par la cour d’appel dans les années 2000, et le rapport disait explicitement que le conseil nécessitait la présence de 30 fonctionnaires. Même aujourd’hui, alors que les affaires ont doublées, il n’y a que 23 fonctionnaires correspondant à un équivalent temps-plein de 17 fonctionnaires.

LG : Vous avez pourtant été sélectionné pour être un « conseil pilote » pour mettre en place la réforme Macron, ce contrat vous a bien permis d’avoir des moyens supplémentaires ?

M.A : Ce fut une satisfaction d’être désigné comme l’un des quatre conseils pilotes en France. Toutefois, cette distinction n’a pas permis à d’autres conseils, y compris ceux du ressort de la cour d’appel de Versailles n’ont pas permis de suivre notre exemple : avoir mis en place dès le 1er août 2016 la réforme Macron. Dans le même temps, nous avons signé le 25 janvier 2016 un contrat d’objectif avec la cour d’appel de Versailles nous permettant d’obtenir des moyens supplémentaires en personnel et financiers pour deux années. Nos objectifs étaient la réduction des délais de procédure, plus spécialement pour les affaires ayant plus de trois ans. C’est à ce titre que les délais de procédures ont été réduits de moitié dans les sections les plus importantes, l’encadrement et le commerce.

« Si l’échevinage se fait, ce sont les entreprises qui seront perdantes »

LG : Vous avez assisté en tant que vice-président en 2003 à la mise en place du « groupe qualité », à l’initiative du président salarié CFDT Bernard Fraissignes. Ce groupe qualité fête maintenant ses 15 ans d’existence, quel bilan en tirez-vous ?

M.A : L’objectif était de mettre en place avec le barreau des Hauts-de-Seine, puis par la suite avec le barreau de Paris, des réunions trimestrielles pour améliorer les procédures et réduire les délais. En réalité, il s’agit essentiellement d’améliorer nos relations et la qualité de travail entre le conseil et le barreau dans l’intérêt des justiciables.

LG : Pourtant, vous dénonciez lors de votre discours de départ le 30 janvier dernier «  le manque de crédit du monde judiciaire » envers la juridiction prud’homale.

M.A : La réforme Macron émane de deux rapports, le rapport Marshall (premier président de la cour d’appel de Montpellier) et le rapport Lacabarats ( premier président de la cour de Cassation). A aucun moment le conseil supérieur de la prud’homie n’a réellement été consulté. Ils ont affirmé un certain nombre de situations dans lesquelles nous ne retrouvons pas : impétence des conseillers dans la rédaction de jugement, délais de recours trop longs, taux d’appel exagéré…

LG : Comment expliquez-vous la mésentente entre ces instances et le monde de la prud’homie ?

M.A : Il y a eu jusqu’à 200 000 affaires par an au niveau national, qui échappent à la magistrature de carrière et qui tente de récupérer ces affaires. Dans le cas des juges départiteurs, qui sont des magistrats de carrière, combien pensent que nous ne servons à rien ? En départage, la loi stipule que lorsque le conseil est au complet, c’est-à-dire quatre conseillers et un président, la décision ne peut être prise qu’a la majorité des cinq. En réalité, il arrive que nous soyons quatre à nous opposer à la décision du juge départiteur qui n’en tient pas compte. Les juges pensent que les conseillers ne comprennent rien à la loi, qu’ils sont incompétents et qu’ils ne savent pas rédiger. C’est faux.

L.G : La réforme Macron induit une « barémisation », dont l’introduction de « mini-maxi », lors des affaires prud’homales. Cinq conseils dissidents se sont opposés à la mise en place de cette réforme. Quelle est votre position ?

M.A : D’un point de vue légal, je suis pour l’application du barème et contre la position des conseils dissidents. Il avait été mis en place à la demande du MEDEF (dont il fait partie, Ndlr) et de la CPME, pour qu’il y ait une sécurité juridique des entreprises, qui pourraient déterminer le coût d’une affaire. Comme beaucoup de conseillers du conseil employeur, j’y suis opposé, car à aucun moment nous avons condamné des entreprises au montant maximum du barème. C’est une loi en défaveur des entreprises. Par ailleurs, au moment de la première réforme Macron, nous avons écrit conjointement avec le conseil de Boulogne à tous les députés et sénateurs des Hauts-de-Seine. Nous voulions qu’ils ne disent pas amen au pouvoir, sauf qu’un seul sénateur et un seul député nous ont répondu, par des lettres passe-partout.

LG : Comment envisagez-vous l’avenir de la prud’homie ?

M.A : Je crains l’échevinage de la justice prud’homale. A horizon 2021, le conseil de prud’hommes risque d’être présidé par un magistrat de carrière, ce qui marquera la disparition de l’institution sous sa forme actuelle. Je suis inquiet pour les entreprises que les décisions soient prises par des juges de carrière qui ne connaissent pas l’entreprise pour n’y avoir même pas effectué un stage. Je suis convaincu que si l’échevinage se fait, ce sont les entreprises qui seront perdantes.

Par Guillaume Hamonic