Télétravail : les habitudes des salariés de la Défense bouleversées

Le quartier d’affaires de la Défense et ses presque 4 millions de mètres carrés de bureaux, ont été ­confrontés depuis 18 mois à des restrictions sanitaires majeures, à cause de la crise sanitaire du Covid-19. Depuis le 9 juin et le début de l’allégement des mesures restrictives du gouvernement post-troisième confinement, le retour des salariés au siège des entreprises est progressif.

À compter du 1er juillet 2021, le télétravail pourra s’effectuer deux jours par semaine, contre trois encore aujourd’hui. De ce fait, les entreprises de la Défense devraient voir revenir au bureau des milliers de travailleurs dont l’activité ne rendait pas obligatoire leur présence physique au siège.

Quel est le positionnement des entreprises vis-à-vis du télétravail et quelles restent les limites actuelles du retour en présentiel ? Quelle forme prendra le travail à la rentrée grâce aux accords d’entreprises signés entre les directions, les syndicats et les salariés ? Un réaménagement des espaces est-il à prévoir et dans quelle mesure s’observera-t-il dans les mois à venir ?

Aussi et surtout, quel est ­l’intérêt de revenir en présentiel pour des travailleurs qui sont désormais habitués au télétravail généralisé ? Autant de questions que la Gazette de la Défense tentent d’éclaircir en interrogeant salariés, syndicats et directions d’entreprises majeures du premier quartier d’affaires ­d’Europe.

« J’étais déjà en télétravail deux jours par semaine avant les confinements, raconte Marie-Christine qui travaille dans une banque depuis de nombreuses années. Ça me convient parfaitement parce que j’ai un poste où je suis très indépendante, et où le travail en équipe n’est pas très ­développé ».

Le constat est clair, un retour en arrière n’est pas envisageable. Malgré une situation sanitaire qui s’améliore et qui pourrait rendre possible un retour à la normale à la rentrée prochaine, la totalité des entreprises et des salariés interrogés indiquent être favorables au télétravail.

« On ne peut pas revenir à l’organisation d’avant, indique le porte-parole de la Société Générale. Un an et demi de travail à distance, de nouveaux usages, d’outils numériques mis à disposition, ce n’est pas anodin. On ne peut pas rayer tout cela et revenir en arrière ».

Du télétravail, Laure Girodet, directrice santé et sécurité du groupe Suez indique : « Le groupe y est complètement favorable, le processus a juste été accéléré avec la crise Covid ». Si consensus il y a pour le travail à distance, le retour en présentiel est quand même apprécié. « Je viens de rencontrer une collègue avec qui j’ai travaillé il y a quelques mois, on était contentes de se saluer, d’échanger », explique Marie-Christine.

Le 30 juin, si la situation sanitaire le permet, la fin des jauges limitant le nombre de personnes en intérieur pourrait permettre d’accroître l’attractivité du retour en présentiel. Chez Allianz France, le retour sur site se fera dans le respect d’une jauge portée à 50% et dans la limite de deux jours de présentiel par semaine. « Au-delà, cela se fera sur la base du volontariat, explique Anne-Sandrine Cimatti, chargée des relations presse pour Allianz. La situation des personnes vulnérables sera, elle, étudiée en fonction des évolutions éventuelles du protocole applicable en France ».

Un protocole sanitaire qui pourra rebuter certains à l’idée de revenir au travail. « Le masque obligatoire partout, les services qui n’ont pas tous rouvert, ça limite l’intérêt du présentiel », confie un salarié proche de la tour Cœur Défense.

À la tour Suez, dans le quartier Faubourg de l’Arche, la salle de sport fermée depuis mars 2020 ne rouvrira qu’en septembre. Les activités de yoga et de relaxation, digitalisées depuis la période du Covid, ne reprendront également qu’en septembre en présentiel.

« On ne croit pas au 100 % télétravail. On veut vraiment un travail hybride, c’est-à-dire une articulation entre le présentiel et le distanciel, indique le porte-parole de la Société Générale ».

Un an et demi après le début de la crise sanitaire en France, la généralisation du travail à distance a entraîné une évolution de l’approche au travail. À la rentrée, c’est le travail dit hybride qui sera présent dans la plupart des entreprises du quartier d’affaires.

« On ne croit pas au 100 % télétravail. On veut vraiment un travail hybride, c’est-à-dire une articulation entre le présentiel et le distanciel », indique le porte-parole de la Société ­Générale. Mathilde Le Coz, directrice des ressources humaines (DRH) chez Mazars, entreprise spécialisée dans l’audit, la fiscalité et le conseil, ajoute : « Il y a plein d’avantages au télétravail, mais le 100 % en distanciel a ses limites. Beaucoup de nos collaborateurs en ont souffert d’ailleurs. Le travail hybride permet de faire moitié-moitié ».

Pour cela, des chartes ont été signées entre les directions, les salariés et leurs syndicats. Chez Suez, l’encadrement du télétravail signé en janvier dernier a permis l’obtention de deux jours de télétravail en moyenne par semaine. « C’est un bon accord, réagit Cédric Tassin, coordinateur inter-fédéral de la CFDT du groupe Suez. Le travail hybride n’est pas obligatoire, c’est la volonté du salarié qui est censée primer ».

La nouvelle charte de l’entreprise Mazars validée depuis plusieurs mois fait une distinction selon les métiers. Pour les fonctions transverses, plus sédentaires, c’est au minimum 50 % du temps de travail au bureau qui est demandé. « Pour les métiers qui avaient l’habitude d’aller chez le client, la charte indique que les collaborateurs vont chez le client autant que faire se peut. Quand ils ne sont pas chez le client, ils doivent passer 20 % au minium de temps au bureau », précise la DRH.

Mesurer l’intérêt du retour en présentiel est capital pour les entreprises. Les salariés de la Défense se sont habitués au travail à distance. Revenir au bureau pour revenir au bureau n’aurait donc du sens que si la plus-value est réelle. Allianz, qui occupe à la fois la tour Neptune et Allianz One, compte bien repenser ses environnements de travail pour les adapter aux nouveaux usages : « Nous avons réalisé un pilote sur l’un de nos sites [Tour Neptune] dans le cadre d’une initiative nommée Vivre Ensemble chez Allianz, complète Anne-Sandrine Cimatti. L’objectif est de fédérer l’ensemble des réflexions et projets autour des nouvelles façons de travailler et de créer un environnement de travail agréable, moderne, efficace et attractif ».

Si les cafétérias, les restaurants d’entreprises ont rouvert et que le présentiel permet le retour à une sociabilisation appréciée de tous, les entreprises ont réfléchi à une stratégie bien particulière pour donner envie aux travailleurs de revenir.

« Nos collaborateurs attendent un signal fort de l’organisation, explique Mathilde
Le Coz. Chez Mazars, le mois de septembre sera notamment un mois dédié pour retrouver nos marques, et nous retrouver ensemble, notamment à travers notre soirée annuelle. Fêter en quelque sorte la sortie de crise et célébrer les efforts de tous depuis 18 mois ».

Sortir du cadre et retrouver une sociabilisation « normale » est une idée partagée par Cédric Tassin, le coordinateur inter-fédéral CFDT du groupe Suez. « Je crois que pour certains, recréer du lien avec leurs collègues, c’est important ».

Le 100 % télétravail n’a pas eu que des avantages. Dans l’entreprise Mazars, la hausse de productivité a été une bonne chose. Jusqu’à ce qu’elle dépasse les attentes de l’entreprise et pose un autre problème, l’absence de déconnexion. « Comme les collaborateurs étaient bloqués chez eux beaucoup se sont réfugiés dans le travail », raconte la directrice des ressources humaines.

Avec la fermeture des lieux de culture, de loisirs, la tentation de faire autre chose n’était pas présente. Les salariés plus jeunes, qui n’ont pas de longue expérience derrière eux, ont cherché à se faire bien voir, à prouver leur valeur quitte à dépasser allégrement leurs horaires de travail.

Pour y répondre, et aussi pour encourager les travailleurs pour qui le télétravail a pu être source de décrochage, les managers ont dû rappeler aux salariés leur droit à la déconnexion. « On a mis en place des outils de sociabilisation, des pop-up (une fenêtre qui s’ouvre sur l’ordinateur sans avoir été sollicitée par l’utilisateur, Ndlr), on a travaillé sur le stress numérique, et on a instauré des règles pour que tout le monde n’assiste pas à toutes les réunions », énumère Mathilde Le Coz.

« On a un accord sur le droit à la déconnexion, complète Cédric Tassin du syndicat CFDT du groupe Suez. Par exemple, si vous travaillez jusqu’à 17 heures, il y a une petite vidéo qui va s’afficher et vous encourage à prendre une pause. Même chose si vous démarrez un PC de Suez le week-end, la vidéo s’affiche ».

Qui dit travail hybride, dit forcément un nombre de salariés moins important aux sièges des entreprises. Pour l’entreprise Mazars qui a plus de 2 000 collaborateurs à la Défense et une capacité d’accueil de 1 700 places, seules 1 000 personnes ­devraient se rendre au siège chaque jour avec le travail dit hybride.

Le réaménagement des espaces a été pensé par les entreprises. D’abord avec le flex office, c’est-à-dire la suppression du poste de travail fixe, mis-à-part pour certaines professions qui nécessitent la préservation de la confidentialité. Chez Suez comme ailleurs, le flex office a permis de libérer des espaces de travail, offrant au groupe l’opportunité de regrouper des équipes de Rueil-Malmaison et Suresnes au siège de l’entreprise.

Outre le flex office, qui se généralise dans beaucoup de sièges d’entreprises de la Défense, le tiers lieu est peut-être l’aménagement de demain. « Le tiers lieu c’est le bureau dans la rue à côté de chez vous, explique Mathilde Le Coz. Au lieu d’aller travailler au siège, l’idée est de se rendre dans des espaces annexes, de coworking, et avoir un réseau de travail sur toute la région parisienne ».

« Faire 45 minutes de trajet le matin et encore le soir, ça ne donne pas envie ça c’est sûr, confirme Adrien, jeune ­salarié d’un grand groupe interrogé sur le parvis de la Défense. Si demain, on me propose de travailler dans un espace plus petit, où on est moins nombreux, et qui n’accueille pas forcément une seule et même entreprise, je trouverai l’idée attirante ».

Ce qui est sûr, c’est qu’un retour pur et simple à la normale n’est pas envisagé. Le télétravail est entré dans la norme. Et les entreprises qui voudraient revenir en arrière, « risquent de perdre des talents, met en garde Mathilde Le Coz. Pour nos collaborateurs, aucun retour en arrière possible. On est entré dans une nouvelle ère, une vie moderne qui permet de travailler de façon plus flexible ».

CRÉDIT PHOTO : LA GAZETTE DE LA DÉFENSE

Articles similaires

Ce site internet utilise des cookies pour mesurer son audience.