Les grandes entreprises touchées par « l’innovation frugale »

Faire mieux avec moins, c’est ce que propose ce concept présenté à la Défense le 14 mars dernier, au sein du Cnit. Certains poids lourds du quartier semblent ne pas y être indifférents.

Faire plus ou mieux, avec moins. Tel est le concept d’une « innovation frugale » inspiré du « Jugaad » indien. Cette philosophie de la débrouillardise a pour but de mettre en œuvre une ingénierie à la fois simple, efficace et peu onéreuse pour répondre à des besoins clairement identifiés, dans un contexte de ressources et moyens limités. Elle faisait l’objet d’une journée nommée Frugale innovation day, le 14 mars dernier au sein du Cnit, organisée entre autres par Abhinav Agarwal, « catalyseur et entrepreneur frugal », ainsi que Marc Tirel, « ­détecteur de talents et ­d’émergences ».

D’abord pratiquée avec succès dans les pays de faibles ressources, l’innovation frugale se définirait en tant que démarche visant à élaborer des solutions efficaces, dépourvues de sophistication et de superflu, avec le moins de moyens possibles… mais sans concessions sur la qualité du service rendu. Le concept commence à être adopté par certaines entreprises occidentales, qui y voient le moyen d’être plus « agiles ». De grandes entreprises étaient présentes, notamment Renault, Air liquide, Ariane, mais également des chercheurs universitaires, des étudiants et quelques jeunes pousses.

« Le problème dans les grandes entreprises, c’est la contrainte économique, soulève Marc Tirel. La priorité, c’est la rentabilité, le problème est d’ordre systémique. » Ce que confirme Pierre-Etienne Franc, vice-président d’Air liquide : « Dans beaucoup d’entreprises, on se pose ces questions d’innovation frugale, mais on se frotte aux objets de performances économiques et de croissance. » Mais, selon lui, il y a des ouvertures « claires ». « Il y a une prise de conscience formalisée dans les entreprises du monde de l’énergie que la croissance et les ressources vont s’épuiser », analyse-t-il.

D’après lui, la prise de conscience est également due à l’omniprésence de la question de la pollution dans les débats nationaux et à la « pression sociétale qui s’exprime par le digital ». Il détaille : « C’est une tension qui pèse sur les entreprises et leurs actes, et qui les oblige a adopter une logique de clarté. » Pour Pierre-Etienne Franc, deux stratégies sont alors possibles pour ces entreprises : soit elles se retirent ou se cachent, soit elles tentent d’intégrer le jeu de l’engagement dans la cité.

« Les entreprises qui font ça intègrent la question du bien commun dans leur stratégie, indique-t-il. Et ça passe notamment par l’ouverture du silo des managers. » Le nouveau paradigme d’innovation frugale inviterait à sortir des chemins tout tracés. Par exemple, là où la pensée classique voit la baisse des ressources humaines et matérielles comme une menace, une entreprise doit ­l’évaluer comme une opportunité.

L’innovation frugale se base ainsi sur une capacité d’innovation et d’investissement avec moins de moyens, mais plus d’ingéniosité. Le modèle de frugalité appliqué aux entreprises se fonde sur un constat factuel : la nécessaire baisse des dépenses dans un contexte économique difficile. Le produit ou service proposé se doit donc d’être « agile » tout en répondant aux besoins essentiels du client.

Basé sur cette idée, Air liquide a lancé une structure d’innovation appelée I-Lab, en 2013, dans ses locaux à Paris. Sa mission ? Explorer de nouveaux marchés en adoptant une approche centrée sur les usages afin d’identifier, tester et accélérer de nouvelles opportunités de croissance pour le groupe Air liquide.

« Je vois monter les approches collaboratives de manière forte, commente Lionel Roure, maître de conférence au Cnam. On constate aujourd’hui de plus en plus d’entreprises qui s’y mettent en interne, avec des fab lab (laboratoire de fabrication, Ndlr) notamment. » L’observateur universitaire se pose la question de l’avenir des grandes entreprises : « Aujourd’hui, la mutualisation des ressources procure une efficience quasi comparable à celle d’une grande entreprise, sans en avoir les ­inconvénients. »

Toujours selon lui, les jeunes, aujourd’hui, préfèrent travailler dans un petit groupe que dans une grande entreprise. « Ils ont besoin de sens », estime-t-il. L’innovation frugale pourrait alors être utilisée à cet effet, compter plus sur l’ingéniosité de l’humain. « Peut-être qu’un jour, on parlera d’autre chose que de la richesse économique », conclut Pierre-Etienne Franc.

Une conférence « innovation frugale », paradoxe à la Défense ?

« Le Cnit nous a offert gracieusement la possibilité de mener cette journée d’innovation frugale ici, indique Marc Tirel, autoentrepreneur et co-organisateur de l’événement, rencontré par La Gazette jeudi dernier, à l’occasion de la conférence dédiée à la résilience des entreprises. Ces lieux sont généralement réservés aux entreprises du Cac 40, on a eu beaucoup de chance ». Pour l’homme qui a été très vite séduit par cette « innovation frugale », le quartier d’affaires permettait de donner à cette journée une connotation particulière à propos du monde économique et de ses mutations.

« Nous avons voulu inviter les grandes entreprises, commente Marc Tirel. Et le fait que des entreprises comme Air France ou Air liquide soient venues, ça prouve que ça commence à bouger chez elles. » L’autoentrepreneur évoque la présence de Pierre-Etienne Franc, vice-président d’Air liquide, dont certains locaux sont situés à la Défense. Ce dernier a d’ailleurs récemment publié un livre, Entreprise et bien commun, qui prône le retour de l’éthique au sein de l’entreprise et l’ancrage de celle-ci dans la cité.

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