Depuis le 5 décembre dernier, date du début du mouvement de grève contre la réforme des retraites portée par le gouvernement, les agents de la RATP du centre de dépôt de bus de Nanterre se mobilisent chaque matin. Situé avenue Kléber à Nanterre, le centre est bloqué quotidiennement par un barrage filtrant laissant passer un bus toutes les dix minutes en moyenne.

Des bus qui ont pour missions de circuler sur les lignes 141 et 258 qui relient la Défense à Rueil-Malmaison, 259 qui raccorde Saint-Germain-en-Laye à Nanterre Préfecture, ou encore la ligne 160 qui relie Nanterre Préfecture au Pont de Saint-Cloud. Quant aux autres lignes elles ne circulent tout simplement pas.

La direction du dépôt, fait ainsi appel chaque jour à la police pour faire cesser le piquet et que l’ensemble des conducteurs de bus non-grévistes puissent circuler. Un recours qui parfois mène à de fortes tensions avec les grévistes. Des incidents ont éclaté lundi 30 décembre 2019 ainsi que le jeudi 2 janvier suite à des charges des policiers pour débloquer l’entrée. Autre conséquence de ces interventions policières : de moins en moins de bus sortent, les conducteurs non-grévistes faisant usage de leur droit de retrait.

Au centre bus RATP Défense-Ouest Nanterre, une trentaine de conducteurs grévistes tiennent un piquet de grève. Les grévistes se positionnent devant l’entrée du dépôt et bloquent la sortie des bus conduits par leurs collègues non-grévistes, chaque jour de la semaine. Selon un intervalle précis, ils laissent passer un bus de temps en temps.

Jeudi 2 janvier, à 5 h du matin, les grévistes sont amassés autour d’un barbecue dans lequel brûlent des morceaux de palettes. Par grappe, ils discutent entre eux, du mouvement contre la réforme, d’Emmanuel Macron et de la présence de la police. Un petit comité discute avec une femme, la directrice des ressources humaines du dépôt. Aidée de la commissaire de police de la Direction des Transports de la préfecture de police (DT), elle négocie avec les grévistes pour laisser passer plus régulièrement les bus.

Pour le moment, un bus sort toutes les 12 minutes. « Il faut que ces bus sortent », déclare-t-elle. Ce à quoi lui répond un gréviste : « un bus vient de sortir, il faut attendre dix minutes ». La commissaire intervient alors : « Vous pourriez faire un geste et baisser le délai à sept minutes ». Les grévistes refusent. Pendant ce temps-là, les grévistes discutent cordialement avec les non-grévistes, installés dans leur bus, prêts au départ.

« Vous parlez en minutes, Madame, moi je parle en années [de travail] », répond un gréviste à la commissaire qui lui demande à nouveau de convaincre ses collègues de laisser passer plus souvent des bus. « J’ai signé un contrat, il y a 20 ans sur lequel monsieur Macron veut revenir, donc ces bus ne sortiront pas », renchérit l’un d’eux. Et la discussion dure sans que les deux parties ne concèdent quoique ce soit. Depuis 4 h du matin, seulement une dizaine de bus ont pu sortir du dépôt.

Du côté des conducteurs non-grévistes, les raisons de venir tout de même travailler sont nombreuses. Nombreux ne sont plus très loin de la retraite. « Je ne me sens pas concerné » souffle l’un deux.

« Puisque c’est ainsi, ce sera un bus toutes les 15 minutes ! » hurle l’un des grévistes. Certains collègues non-grévistes, émus par la situation, exercent leur droit de retrait.

D’autres sont des manifestants dans l’âme, mais se sont organisés pour travailler tout de même quelques jours par mois. « Je n’ai pas les moyens de faire grève tous le mois, donc je fais grève quelques jours puis je travaille quelques jours, explique l’un d’entre eux qui vient de sortir du dépôt. On est plusieurs dans cette situation à faire une grève tournante ». Parmi les non-grévistes, certains viennent également « tout juste de commencer à la RATP ».

À 6 h  45, décision est prise d’évacuer le piquet. La vingtaine de policiers mobilisée s’équipe et approche rapidement de l’entrée du dépôt. Ils chassent d’abord les grévistes devant la grille et le barbecue, puis entrent dans le centre pour créer un chemin de passage pour les bus. Les grévistes courent dans le centre.

Dans l’action, un policier part vers le bâtiment et charge un gréviste. Il le met au sol et s’apprête à le frapper. C’est son collègue venu le défendre qui prend le coup de matraque sur le poignet. Les esprits s’échauffent et s’ensuit une grosse mêlée entre les grévistes et les forces de l’ordre, munis de boucliers. Alors que la tension est à son comble et après de nombreuses minutes de bousculades, la commissaire décide de retirer ses troupes pour calmer le jeu.

« Puisque c’est ainsi, ce sera un bus toutes les 15 minutes ! » hurle l’un des grévistes. Certains collègues non-grévistes, émus par la situation, exercent leur droit de retrait. Ce jour-là, six d’entre eux y ont eu recours. Alors que le calme est revenu devant le centre, les policiers remballent tranquillement leurs affaires.

À 9 h, le piquet de grève est levé, seuls 15 bus ont pu sortir. « Demain on aura un coup de main de l’interprofessionnelle du 92 », confie l’un des grévistes. Elle était présente le 30 décembre dernier devant le dépôt de bus de Nanterre. Pour faire face à la centaine de manifestants, plusieurs dizaines de CRS ont été déployés. Lors du déblocage du piquet, un postier a été frappé à la main par un policier : fissure de l’index et dix jours d’incapacité totale de travail.

Le vendredi 3 janvier, les CRS étaient également déployés dès 4 h du matin. À l’exception d’un jet de gaz lacrymogène sur quelques grévistes, la situation est restée relativement calme. « C’est honteux de nous gazer comme cela », s’indigne un des grévistes.

Cet incident aura été quelque peu contre-productif : une trentaine de chauffeurs ont exercé leur droit de retrait. Seuls huit bus sont sortis du dépôt ce matin-là. Contactée, la direction du dépôt n’a pas pu répondre aux questions de La Gazette dans le temps imparti à la publication.

À 7 h 08, les CRS et l’unité de la DT lèvent le camp. Le chef de brigade s’adresse alors aux grévistes : « Bonne journée Messieurs et bon courage ! ». Quant aux policiers de la DT, ils saluent les grévistes en leur disant « À lundi, les gars ! ». Les grévistes leur répondent : « Bon week-end ! ».