Le Comité social et économique (CSE) crée de « nouvelles perspectives professionnelles pour les délégués syndicaux et les élus du personnel qui s’engagent dans le dialogue social ». Enfin, selon la ministre du travail Muriel Pénicaud en septembre 2018, lors de la signature par Emmanuel Macron de l’ordonnance qui instaure les CSE, issus de la fusion du Comité d’entreprise (CE) et du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

La nouvelle instance a pour vocation de simplifier les composantes de dialogue entre les représentants du personnel et la direction de chaque entreprise. Objectif : que « le dialogue social soit au plus près du terrain, dans l’entreprise, dans la branche, pour nous adapter aux réalités des secteurs, aux réalités de chaque entreprise », martèle la ministre du travail.

Un an plus tard, le CSE va appauvrir lourdement le dialogue social autant en nombre de délégués du personnel qu’en nombre d’heures de délégation mensuelles allouées, dénoncent les syndicats. Ces heures fondent à vue d’œil dans un contexte de mise en place du CSE extrêmement court. Depuis la promulgation de l’ordonnance en septembre 2018, les organisations syndicales et les directions ont jusqu’au 31 décembre prochain pour signer, ou non, des accords préélectoraux.

Ces derniers fixent le cadre du futur CSE délégués du personnel et la date des élections pour une durée de quatre ans. « Engie, SFR et Orange s’y sont pris assez tôt, énumère Vincent Pigache, secrétaire général de l’Union départementale CFDT des Hauts-de-Seine. Mais le compte n’y est pas. »

« Le délai est trop court pour que les négociations et les élections se fassent correctement », estime Olivier Dupuis, de l’union centrale UGICT-CGT des Hauts-de-Seine. Tandis que le ministère du travail se félicitait en septembre de l’installation de 9 000 CSE, avec une baisse moyenne de 33 % du nombre de délégués, les syndicats ne sont pas du même avis.

Philippe Portier, secrétaire national CFDT chargé du dialogue social, « estime que seulement 50 % des CSE ont été mis en place et, dans plus de neuf cas sur dix, cela s’est fait sans accord, par décision unilatérale de l’employeur, avec le minimum légal prévu dans les ordonnances ». Sans accord, cela signifie que les entreprises mettront en place un CSE sur les bases minimales prévues par la loi que ce soit en nombre de délégués, de périmètre d’action ou de nombre d’heures de délégation.

Au sein de la chaîne de parfumeries Marionnaud, le dialogue social aurait ainsi pris un coup. Le groupe de 3 222 salariés comptait 124 élus au CE et au CHSCT pour 1 600 h de délégations par mois. Désormais, le CSE ne leur octroie plus que 25 élus ayant 26 h mensuelles de délégation, soit 650 h à eux tous. Un gouffre. Au Crédit lyonnais, la perte sèche de moyens syndicaux serait de 50 % pour un groupe qui compte 17 000 salariés. Même schéma chez HSBC, dont les syndicats estiment une perte de moyens de la future délégation entre 25 % et 30 %.

Le délai est si court que les syndicats ont dû appeler en renfort de nombreux retraités syndiqués pour mener les négociations d’accords préélectoraux auprès de différentes entreprises. « J’en étais à un tel point que je recevais plusieurs appels par jour pour négocier des accords », raconte un retraité d’un groupe parapétrolier qui aide ses « camarades » de la CFE-CGC « sur son temps libre ».

« Cela pose un véritable problème concernant la pratique à venir des délégués du personnel, s’inquiète Olivier Dupuis de la CGT. Avec le peu d’heures de délégations que nous laisse le CSE, nous allons avoir uniquement le temps de faire la navette avec les directions. » Ce qui retirerait de facto aux délégués du personnel la possibilité de rencontrer les salariés répartis sur de multiples sites à travers la France et de détecter des problèmes qui incombent aux CSE, alertent les syndicats : conditions de travail, risques psychosociaux, gestion de la formation, sensibilisation…

Une réalité très éloignée, donc, du « dialogue social au plus près du terrain, dans l’entreprise, dans la branche, pour […] adapter aux réalités des secteurs, aux réalités de chaque entreprise », vanté par Muriel Pénicaud. « L’autre souci majeur est la création de nombreux déserts syndicaux, notamment pour les petites et moyennes entreprises qui ne signeront pas d’accords et feront le minimum », déplore Vincent Pigache de la CFDT.

À désormais huit semaines de l’échéance, les syndicats, à l’exception de la CFDT, seule organisation qui avait approuvé les ordonnances Pénicaud, ont adressé le 24 octobre dernier une lettre à la ministre du travail, Muriel Pénicaud. Les représentants nationaux demandent le maintien des instances représentatives actuelles au-delà du 31 décembre 2019, date de remplacement du CE et du CHSCT par le CSE en l’état pour les quatre années suivantes.

Selon la CFTC, FO, la CGT et la CFE-CGC, les salariés « ne disposeront plus d’institutions représentatives du personnel et de représentants salariés dans l’entreprise ». Les organisations syndicales demandent à la ministre de « mettre en œuvre tous les moyens dont [elle] dispose pour qu’au-delà du 31 décembre 2019, les institutions représentatives du personnel existantes – dans les entreprises qui n’ont pas respecté l’obligation de mettre en place le CSE dans le délai imparti – perdurent jusqu’à l’organisation des opérations électorales. »

Une demande laissée lettre morte. Si la tendance se poursuit, une grande majorité des entreprises pourraient donc se trouver très appauvries en termes de représentation du personnel, faute d’accord. Certaines estimations font état de la disparition à venir de 150 000 à 200 000 mandats électifs. Selon le dernier décompte effectué par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), les entreprises en 2011 comptaient 767 000 mandats.

PHOTO : ILLUSTRATION / LA GAZETTE DE LA DEFENSE